Samedi 15 février 2025, Mahmoud Ali Youssouf, ministre d’Ismail Omar Guelleh (IOG), a été élu à la présidence de la Commission africaine. Il l’a été par une majorité de Chefs d’États et de gouvernement du continent, au sixième tour du scrutin.

Rappel
Mahmoud Ali Youssouf, ce diplômé de langues étrangères (anglais et arabe) et de management, est un fidèle de l’autocrate Ismail Omar Guelleh. Il doit toute sa carrière à lui. C’est IOG qui l’a fait nommer directeur du monde arabe au ministère des affaires étrangères en 1996 puis ambassadeur de Djibouti en Égypte en 1997. C’est aussi lui qui l’a directement nommé ministre délégué en charge de la coopération internationale en 2001, puis ministre des affaires étrangères en 2005. Il a occupé ce poste jusqu’à son élection de ce 15 février 2025 à la présidence de la Commission africaine. A ce titre, il a toujours été d’une fidélité sans faille à l’autocrate et à son système.
Or, on le sait, le bilan d’IOG n’est pas enviable. Il est des plus sombres sur tous les plans, sauf au niveau personnel et familial de l’autocrate. Lui et sa famille se sont immensément enrichis. Triste illustration, les villes djiboutiennes, particulièrement la capitale, se noient sous les eaux sales, les déchets ainsi que sous les nuages de fumée toxique produits par des feux de déchets. La campagne n’est pas épargnée par l’invasion de la saleté. Ne parlons pas du chômage massif, de la pauvreté massive, des systèmes de santé et d’éducation dégradés, de la justice aux ordres. Ne parlons pas des fléaux du khat, de la drogue et de l’alcool. Ne parlons pas de la corruption endémique. Ne parlons pas des atteintes graves et récurrentes aux droits humains dont massacres, assassinats, arrestations et détentions arbitraires. Le massacre du 30 janvier 2025 à Siyaru au nord du pays avec ses huit morts dont une femme et des mineurs ainsi que trois blessés est le dernier en date. Ne parlons pas des libertés publiques foulées aux pieds, des élections systématiquement truquées, du musèlement de l’opposition et de toute autre voix libre.
De ce bilan, Mahmoud Ali Youssouf est co-comptable avec son patron IOG. A la gouvernance désastreuse qui a conduit à cette situation, il ne s’est jamais opposé. Bien au contraire, il l’a toujours défendue à la fois comme ministre et porte-parole, comme baron du parti au pouvoir, ancien parti unique resté unique, et comme bénéficiaire d’enrichissement personnel. Cela explique pourquoi les Djiboutiens ont, dans leur immense majorité, rejeté ou ignoré sa candidature.
Au vu de ce bilan et de ce rejet populaire, ce n’est ni un bâtisseur ni un démocrate qui arrive à la tête de la Commission africaine.
Sur l’élection elle-même
La Commission africaine étant une institution inter-gouvernementale, Mahmoud Ali Youssouf a été élu par des chefs d’État et de gouvernement. Or, ces derniers ne sont pas tous démocratiquement légitimes, car un nombre significatif d’entre eux sont des autocrates, ou issus de coups d’État. Il a été élu au sixième tour, ce qui signifie qu’il n’était pas le favori. Il a bénéficié de voix et de reports de voix de chefs d’État et de gouvernement en lutte d’influence entre eux. Au-delà des voix promises, ce sont le tandem Afrique du Sud/Algérie et d’autres qui ont fait pencher la balance en faveur de Mahmoud Ali Youssouf. L’Algérie contrait le Maroc qui soutenait le candidat kenyan et l’Afrique du Sud percevait Odinga comme trop pro-américain.
Autre élément, la crise entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) a partiellement joué en faveur du candidat d’IOG. Certains pays ont voté pour Mahmoud Ali Youssouf perçu comme plus gérable que Raila Odinga sur la crise entre Kigali et Kinshasa dans l’est de la RDC. Rappelons au passage que les rebelles du M23, mouvement armé soutenu par le Rwanda, a récemment pris le contrôle de la grande ville de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, et pousse son avantage. Il est ainsi entré vendredi 14 février 2025 dans Bukavu, chef-lieu du Sud-Kivu. Samedi 15 février, au moment même du vote pour la présidence de la Commission africaine à Addis-Abeba, capitale éthiopienne, le M23 consolidait sa prise de contrôle de Bukavu. En d’autres termes, l’est du Congo est en train de passer sous son contrôle, ce qui préoccupe les dirigeants congolais et beaucoup d’autres.
C’est dire si son élection à la tête de la Commission africaine est largement due à des luttes d’influence entre de gouvernants.
Que peut-il faire ?
Il faut d’abord savoir que, dans les textes, l’Union africaine (UA) est légitime et utile. Elle est l’héritière de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et censée servir l’Afrique, en pariant notamment sur son aspiration à l’unité et à l’union qui fait la force. L’UA peut se targuer d’objectifs à la fois généreux et nombreux. Ils sont formulés comme ceci : ‘’(a) réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples d’Afrique ; (b) défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses Etats membres ; (c) accélérerl’intégration politique et socio-économique du continent; (d) promouvoir et défendre les positions africaines communes sur les questions d’intérêt pour le continent et ses peuples ; (e) favoriser la coopération internationale, en tenant dûment compte de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; (f) promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent ; (g) promouvoir les principes et les institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ; (h) promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme ; (i) créer les conditions appropriées permettant au continent de jouer le rôle qui est le sien dans l’économie mondiale et dans les négociations internationales ; (j) promouvoir le développement durable aux plans économique, social et culturel, ainsi que l’intégration des économies africaines; (k) promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine en vue de relever le niveau de vie des peuples africains ; (l) coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés économiques régionales existantes et futures en vue de la réalisation graduelle des objectifs de l’Union; (m) accélérer le développement du continent par la promotion de la recherche dans tous les domaines, en particulier en science et en technologie ; (n) œuvrer de concert avec les partenaires internationaux pertinents en vue de l’éradication des maladies évitables et de la promotion de la santé sur le continent’’. Ces objectifs obéissent à des principes clairement affirmés : ‘’(a) Egalité souveraine et interdépendance de tous les Etats membres de l’Union ; (b) Respect des frontières existant au moment de l’accession à l’indépendance ; (c) Participation des peuples africains aux activités de l’Union ; (d) Mise en place d’une politique de défense commune pour le continent africain; (e) favoriser la coopération internationale, en tenant dûment compte de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; (f) promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent ; (g) promouvoir les principes et les institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ; (h) promouvoir et protéger les droits de l’homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme ; (i) créer les conditions appropriées permettant au continent de jouer le rôle qui est le sien dans l’économie mondiale et dans les négociations internationales ; (j) promouvoir le développement durable aux plans économique, social et culturel, ainsi que l’intégration des économies africaines; (k) promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine en vue de relever le niveau de vie des peuples africains ; (l) coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés économiques régionales existantes et futures en vue de la réalisation graduelle des objectifs de l’Union; (m) accélérer le développement du continent par la promotion de la recherche dans tous les domaines, en particulier en science et en technologie ; (n) œuvrer de concert avec les partenaires internationaux pertinents en vue de l’éradication des maladies évitables et de la promotion de la santé sur le continent.’’
L’UA ne manque pas non plus de textes généreux comme en témoignent la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ainsi que la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
L’UA comprend plusieurs organes : ‘’(a) La Conférence de l’Union ; (b) Le Conseil exécutif ; (c) Le Parlement panafricain ; (d) La Cour de justice ; (e) La Commission ; (f) Le Comité des représentants permanents ; (g) Les Comités techniques spécialisés ; (h) Le Conseil économique, social et culturel’’.
La Commission de l’Union africaine ‘’est le Secrétariat de l’Union’’. Elle ‘’est composée du Président, du ou des viceprésidents et des commissaires.’’ Ces derniers ‘’sont assistés par le personnel nécessaire au bon fonctionnement de la Commission’’. De cette Commission, la ‘’structure, les attributions et les règlements de la Commission sont déterminés par la Conférence’’. Les chefs d’État et de gouvernement étaient donc réunis en sommet lorsqu’ils ont élu Mahmoud Ali Youssouf au sixième tour du vote.
Cependant, l’UA, au-delà des textes, ne brille ni par son indépendance financière, ni par son autonomie de décision. Les États membres ne paient pas tous leur cotisation et les ressources nécessaires à la réalisation des missions assignées à l’organisation manquent. D’où le recours à l’aide extérieure pour fonctionner et agir. Des pays et des blocs d’autres continents l’aident, ce qui n’est pas gratuit et se paie en termes d’influence. Dit autrement, l’UA ne s’est toujours pas donné les moyens de son action. Cela explique, du moins en partie, ses difficultés à régler les crises, à impulser le développement continental, à enraciner la démocratie et l’État de droit, à protéger les droits humains, ou encore à lutter contre le terrorisme. Ce n’est pas étranger à son faible bilan.
C’est du secrétariat général de cette maison qui peine et de ses nombreux défis qu’hérite Mahmoud Ali Youssouf, poulain d’Ismail Omar Guelleh.
Se métamorphosera-t-il au point de faire des miracles ? S’émancipera-t-il de son patron IOG ? Saura-t-il se frayer un chemin entre les intérêts divergents des chefs d’État et de gouvernement qui l’ont élu ? En un mot, travaillera-t-il pour les peuples d’Afrique ? Il est permis d’en douter.
Mais nous aimerions tant nous tromper…