Entre le directeur général du Port polyvalent de Djibouti, Djama Ibrahim Darar, et son supérieur hiérarchique, Aboubaker Omar Hadi, président de l’Autorité des Ports et des Zones Franches de Djibouti, les rapports de travail se sont depuis longtemps dégradés. Hadi a même tenté de relever Darar de ses fonctions, en vain. L’intéressé a actionné sa protection au palais privé de Haramouss où réside la famille autocratique Ismail Omar Guelleh, ce qui lui a permis de rester à son poste au grand dam de son chef. Hadi lui reproche beaucoup de méfaits dans sa gestion du port, tandis que le concerné crie à l’animosité personnelle.
C’est dans ce contexte que, le 6 janvier 2025, Aboubaker Omar Hadi a adressé à Djama Ibrahim Darar un courrier rédigé à la fois en anglais et en français. Dans cette correspondance, il lui reproche de violer le décret présidentiel n°2013-074/PRE. Il écrit : ‘’La violation du décret présidentiel n°2013-074/PRE, portant approbation de l’Accord d’Actionnaires du Port de Djibouti S.A. suscite des inquiétudes quant à votre comportement.’’ Il poursuit : ‘’Il est à noter que l’article 5.1 (2) de la présente convention d’actionnaires stipule que : Port Djibouti SA ‘’établit et édicte (…) les règles et règlements relatifs à la gestion, aux opérations et aux activités de l’Entreprise et a le droit de fournir tous les services et de percevoir tous les frais auprès de tous les utilisateurs des ports et terminaux’’ aux tarifs définis dans le dernier Livre des Tarifs approuvé par l’Autorité des Ports et des Zones Franches de Djibouti conformément au décret présidentiel n°2014-106/PRE’’. Il poursuit encore : ‘’Conformément à l’accord d’actionnaires, PDSA a réalisé des investissements substantiels dans des équipements modernes et des machines automatisées pour améliorer l’efficacité opérationnelle, contrôler efficacement les coûts, réduire les délais d’exécution, augmenter le débit et soutenir la croissance à long terme du port en attirant des activités supplémentaires. Toutefois, ces efforts ont été minés par la gestion de DMP sur le site de DMP et du Vieux-Port qui s’appuie largement sur l’externalisation des activités de manutention à des sociétés non réglementaires sélectionnées selon des processus opaques, facturant des tarifs exorbitants au client, en conflit direct avec l’organigramme de l’entreprise et contraire aux objectifs stratégiques et au cadre opérationnel. Les clients sont facturés 11,5 USD/tonne depuis le chantier jusqu’au quai de changement ferroviaire (pour une distance de d’environ 700 m) tandis que le coût du transport routier entre Djibouti et Addis est de 45 USD/tonne pour une distance de 930 km. A ce jour, pour un terminal qui n’est opérationnel que depuis 7 ans (DMP), la plupart des équipements de manutention, dont le cycle de vie est d’au moins 10 ans, ont été détruits. Pourtant, vous avez acheté des équipements de manutention à terre (sans pièces de rechange et auprès d’un seul fournisseur) pour plus de 160 millions de DJF sans l’approbation du conseil d’administration et sans appel d’offres. Pourtant, vous continuez à louer des équipements à des tiers pour effectuer ces services. Cette situation s’est étendue au-delà de la zone portuaire et a affecté la procédure d’accostage côté mer impactant négativement l’ensemble des activités du port. La politique habituelle de ‘’premier annoncé, premier arrivé, premier servi’’ pour les opérations d’accostage des navires a été ignorée, remplacée par des pratiques fondées sur le clientélisme pour favoriser certains navires. Il est de plus en plus fréquent d’observer des navires placés en attente au mouillage avec un temps d’attente à quai dépassant un mois, bien qu’ils aient rempli tous les documents portuaires et douaniers, alors que d’autres navires sont accueillis dans l’heure qui suit leur arrivée au mouillage. Cela a entraîné des pertes de revenus substantielles. A cet égard, pouvez-vous nous expliquer le rôle et la fonction de la société UNION PARTNER sur les opérations d’accostage et de manutention des navires DMP ? Une telle approche clientéliste non seulement met en péril les objectifs à long terme et la performance financière du port, le rendant incapable de rembourser ses dettes, mais ternit également la réputation des ports de Djibouti au sein de l’industrie mondiale du transfert maritime. Il est donc urgent de prendre immédiatement et sans délai les mesures nécessaires pour mettre un terme à la situation actuelle et garantir que les droits, les ressources et les revenus de l’entreprise soient préservées conformément aux dispositions de l’accord d’actionnaires’’.
Nous publions une copie de ce courrier du président de l’Autorité des Ports et des Zones franches de Djibouti.
On le voit, la charge est lourde, très lourde. Ce qui est reproché au directeur général de DMP (ou Port polyvalent de Djibouti), si avéré, est trop grave pour ne pas provoquer des réactions. C’est un exemple flagrant de mauvaise gestion et de pertes de fonds publics dont le peuple djiboutien appauvri a tant besoin. C’est une situation qui ne peut plus perdurer, si telle est la réalité.
Certes, le sieur Aboubaker Omar Hadi n’est pas un modèle de bon gestionnaire ni un exemple d’intégrité, il y a beaucoup à redire sur son management comme sur son patrimoine personnel. Mais son courrier sur la gestion de DMP apparaît éclairant.
A en croire le courrier de Hadi et d’autres sources contactées par La Voix de Djibouti (LVD), nos ports sont massacrés par la prédation. Or, leur réalisation a fait bondir la dette du pays, dette dont DMP semble incapable de payer sa part à cause de la gestion en place.
L’autocrate Ismail Omar Guelleh va-t-il tirer les conséquences qui s’imposent de cette affaire ? En tout cas, il y a urgence à agir à tous les niveaux du secteur portuaire, y compris au niveau de l’Autorité des Ports et des Zones Franches de Djibouti. A suivre de très près.